L' Association des Amis des musées de la Ville de Rouen a réalisé au cours des dernières années une série d'acquisitions remarquables et son efficacité a permis au musée des Beaux-Arts de saisir rapidement des occasions qu'il ne fallait pas manquer. Depuis l'acquisition d'une très belle Vierge reliquaire du début du XVIe siècle, qui avait été célébrée par une exposition réunissant les dons de l'Association jusqu'à cette date, trois opérations exemplaires ont été menées à bien. Elles sont aujourd'hui présentées dans une exposition -dossier au cabinet des dessins de l'aile sud. La première, réalisée avec le mécénat conjoint de la Caisse d'Epargne, a déjà été évoquée dans notre programme printemps-été 2008 : il s'agit du vase en céramique à émaux translucides d'Emile Gallé, représentant l'entrée de Charles VII à Reims sous l'oeil satisfait de Jeanne d'Arc. Le vase a été présenté à l'Exposition Universelle de 1889 pour laquelle Emile Gallé, lorrain d'origine, avait choisi pour thème « L'Amour du sol natal ».
Peu après notre exposition du fonds Moïse Jaccober donné au musée en 1897 par Cornélia Marjolin-Scheffer, des particuliers nous proposaient deux superbes peintures sur cuivre de nature à compléter parfaitement cet ensemble de quarante-cinq études dessinées, esquisses à l'huile sur papier ou sur carton et fragments de toiles découpées pour servir de répertoire de motifs. Le fonds ne comprenait aucun tableau achevé. Les peintures de Jacobber – et a fortiori les paires – apparaissent très rarement sur le marché. L'exposition de 2007 a permis de retracer la carrière de ce protagoniste de l'âge d'or de la peinture de fleurs en France, à l'époque de la Restauration et de la Monarchie de Juillet. Né en Allemagne, il est encore jeune lorsqu'il se fixe à Paris, où il se forme à la peinture de fleurs au Muséum national d'histoire naturelle, auprès de Gérard van Spaendonck. À partir de 1818, il fait carrière comme peintre sur porcelaine à la Manufacture de Sèvres. Il y exécute des décors de services – dont un pour la duchesse de Berry en 1825-1828 –, des plaques décoratives conçues pour orner des meubles précieux et de grandes copies sur porcelaine d'après des toiles de Jan van Huysum et Gérard van Spaendonck. S'il expose ses toiles au Salon entre 1822 et 1855, les musées français ont recueilli peu d'exemples de sa peinture de chevalet : le musée des Beaux-Arts de Lyon conserve un tableau exposé au Salon de 1822 et deux toiles figurent dans les collections du Louvre. Nos deux pendants viennent s'inscrire dans la belle section de peintures de fleurs que présente le musée, dominée par un sublime vase de roses de Redouté.
Au même moment, un descendant du peintre Anicet Charles Gabriel Lemonnier, l'un des fondateurs du musée, a proposé de vendre deux charmants portraits ovales de Lemonnier et de sa seconde épouse, réalisés par le peintre lui-même. Les tableaux, qui ont pu être exécutés à l'occasion de cette nouvelle union, se répondent en légers trois-quarts réciproques. Lemonnier a procédé par contraste : il se peint en vêtement sombre, réveillé par un mince jabot blanc, et porte une sage perruque blanche à rouleaux autour de son visage en lame de couteau ; il laisse voir sous la peau une pilosité sombre que confirment ses sourcils noirs et broussailleux ; enfin sa bouche fine et l'acuité de ses yeux bruns le peignent comme un intellectuel à la fois songeur et déterminé. Au contraire, son épouse replète, se distingue par une certaine élégance de costume avec sa robe décolletée à manches légèrement bouffantes, bordée d'une fourrure et ornée d'un noeud de satin bleu ; elle porte une coiffe crantée ornée d'un même ruban bleu soigneusement disposé qui est en consonance avec ses yeux bleus transparents ; son visage clair, rehaussé de rose, suggère une image de fraîcheur et de don de soi. Ainsi s'opposent dans leur complémentarité, l'intelligence de l'homme et la disponibilité de la femme.
C'est principalement Lemonnier qui a veillé a constituer le premier fond du musée : il était membre de la commission des monuments à conserver à la nation ; dès juillet 1790, il reconnaissait et réservait les peintures les plus intéressantes qu'il repérait en Normandie ; en juin - juillet 1792, il exposait les meilleures oeuvres dans l'église Saint-Ouen, comme préfiguration du futur musée, dont la mort de saint François de Jouvenet. Enfin, revenant à Paris il a sélectionné un certain nombre de chefs-d'oeuvre comme le Gérard David confisqué à un émigré ou la prédelle du Pérugin, saisie en Italie. Après bien des avatars, c'est en 1809 que le musée de Rouen ouvre dans l'hôtel de ville.