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Restitution d'oeuvres spoliées lors de persécutions antisémites

17 Janvier 2024 - 17 Janvier 2060
Restitution d'oeuvres spoliées lors de persécutions antisémites

Le musée des Beaux-Arts de Rouen mène une mission pionnière pour identifier et restituer des œuvres spoliées lors de persécutions antisémites sous le régime nazi

 

Entre 1933 et 1945, les persécutions antisémites survenues sous le régime nazi ont entraîné le vol de nombreuses œuvres d’art appartenant à des familles juives installées en France. Certaines de ces œuvres d’art sont susceptibles d’avoir ensuite été acquises par les musées français, sans savoir qu’elles avaient été spoliées.

 

Le musée des Beaux-Arts de la métropole Rouen Normandie a donc lancé, en 2022, une démarche globale de recherche de provenance sur ses collections. L’objectif est de reconstituer l’historique des œuvres, d’identifier leurs propriétaires successifs depuis les années 1930 pour déterminer si les collections ont pu être l’objet d’une spoliation dans le contexte des persécutions antisémites.

Pour Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen, président de la Métropole Rouen Normandie, et Laurence Renou, vice-présidente déléguée à la culture, « cette démarche est pionnière : le musée des Beaux-Arts de Rouen est le premier en France à avoir lancé une étude globale de ses collections, un an avant l’adoption d’une loi définissant un cadre général pour autoriser la restitution des biens culturels spoliés dans le contexte nazi (Loi n° 2023-650 du 22 juillet 2023). Notre souhait est clair : restituer à leurs légitimes propriétaires les œuvres du musée des Beaux-Arts dont il sera prouvé qu’elles ont été spoliées. Il s’agit d’une juste réparation à l’égard de familles qui ont été dépossédées de leurs biens lors d’une page sombre de notre histoire ».

 

Les objectifs de cette mission

Le musée des Beaux-Arts de Rouen conserve 3 141 peintures. Pour une partie d’entre elles, nous ne connaissons pas leur histoire avant leur entrée au musée. La démarche engagée par la Métropole se fonde sur le devoir qu’ont les musées de France de faire la lumière sur la provenance de leurs collections, ainsi que sur l’historique des nouvelles œuvres qu’ils souhaitent acquérir. Il s’agit donc de déterminer la liste des œuvres qui ne sont pas spoliées, et la liste des œuvres qui ont peut-être ou ont été assurément spoliées. Dans ce cas, les démarches de réparation seront engagées puisque la présence d’œuvres spoliées dans les collections publiques est anormale (restitution des œuvres concernées aux ayants droit des légitimes propriétaires au moment des faits).

 

Les résultats

L’étude commandée par la Métropole Rouen Normandie a été menée par trois chercheuses indépendantes spécialisées pendant six mois. Leur travail a consisté à évaluer le « risque de présence d’œuvres spoliées » parmi les 3 141 peintures conservées par le musée. Les chercheuses ont déployé une méthodologie qui a permis

  •  D’identifier les collections ne présentant aucun risque de spoliation (par exemple : œuvre acquise par le musée avant 1933 ou œuvre acquise après 1933 directement auprès de la famille de l’artiste). Résultat : 59 % des collections du musée ne présentent pas de risque de spoliation.
  •  D’identifier et d’étudier les collections susceptibles d’avoir été l’objet d’une spoliation, et pour lesquelles un travail de recherche de provenance est possible grâce aux archives. Résultat : 19 % des collections peuvent présenter un risque de spoliation mais ne peuvent actuellement pas être étudiés faute d’archives. 22 % des collections peuvent présenter un risque de spoliation et des archives permettent de retracer leur provenance.
  •  Retracer l’historique détaillé des œuvres jugées les plus « à risques ». Résultat : Les 22 % des collections pouvant présenter un risque de spoliation et pour lesquels des archives existent ont été étudiés, soit environ 700 œuvres.

Parmi elles, 38 œuvres ont fait l’objet d’une recherche approfondie et ont été classées en cinq catégories, selon l’importance du risque de spoliation.

Extrait de la note de synthèse du rapport d'audit des collections du musée des Beaux-Arts par Marie Duflot, Hélène Ivanoff et Denise Vernerey-Laplace.

 

Les oeuvres « Musées nationaux récupération »

Parmi les 38 oeuvres étudiées en détail, 9 ont un statut spécial, dit « Musées nationaux récupération » (MNR). A la fin de la Seconde Guerre mondiale, plus de 60 000 oeuvres d’art retrouvées en Allemagne ont été rapatriées en France par les Alliés. Aujourd’hui, il reste environ 2 000 de ces oeuvres, qualifiées de « Musées nationaux récupération », dont l’histoire n’est pas établie et dont la spoliation n’est pas avérée. Ces oeuvres sont confiées à la garde des musées français en attendant de retrouver leur légitime propriétaire.

Le musée des Beaux-Arts de Rouen est dépositaire de 9 oeuvres « MNR ». Le fruit des recherches menées permet désormais d’indiquer que :

  •  4 oeuvres ne semblent pas avoir été spoliées (par exemple : vente volontaire et sans contrainte) ;
  •  4 oeuvres font l’objet d’un soupçon de spoliation ;
  •  1 oeuvre présente tous les signes d’une spoliation : Madame Guillaumin cousant, d’Armand Guillaumin

 

Armand Guillaumin (Paris, 1841 - Orly, 1927) Portrait de Madame Guillaumin, née Marie-Joséphine Chareton

1888, MNR 225 © C. Lancien, C. Loisel /Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie

 

Cartel de présentation

Théâtre de trafics en tous genres, le marché de l’art parisien est particulièrement florissant pendant l’Occupation. Une mission de recherche sur la provenance des oeuvres potentiellement spoliées conservées au musée des Beaux-Arts a été commanditée par la Métropole Rouen Normandie en 2022. Elle a permis de confirmer la suspicion de spoliation concernant ce pastel. Son dernier propriétaire légitime l’a acquis en 1936, et en a confié la garde à Auguste Girard à l’automne 1940 lorsqu’il part se réfugier en zone libre. Alors que le propriétaire légitime est visé par les lois raciales, Girard cède l’oeuvre au marchand d’art Raphaël Gérard qui, en octobre 1941, la vend à Friedrich Welz, directeur de Landesgalerie à Salzbourg pour 600 Reichsmarks. La transaction est annulée après-guerre et Gérard poursuivi pour ses liens avec l’occupant, mais le propriétaire du pastel n’a pu être identifié qu’en 2023. Une fois le dossier instruit par le ministère de la Culture et par la Commission d’indemnisation des victimes de spoliations, ce pastel pourra être restitué aux ayants droit.

Quelques recherches complémentaires vont être réalisées pour préciser certains aspects de l’histoire de cette oeuvre. La Métropole Rouen Normandie a d’ores et déjà sollicité le ministère de la Culture – Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 – pour préparer la saisine de la Commission d’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS). Cette commission sera chargée de reconnaître juridiquement la spoliation et d’autoriser la restitution de l’oeuvres aux ayants droit lorsqu’ils auront été identifiés.

 

 

Pierre-Auguste Renoir (Limoges, 1841 – Cagnes, 1919), Femme au miroir, Inv. 1954.3.1

© C. Lancien, C. Loisel /Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie

 

Le cas de la peinture de Renoir, Femme au miroir

Parmi les 38 oeuvres étudiées en détail, 29 appartiennent au musée des Beaux-Arts de Rouen. Les 9 autres son des oeuvres « MNR » en dépôt au musée. Sur ces 29 oeuvres, une peinture présente d’importants signes de spoliation. L’historique de l'oeuvre est toutefois incomplet sur la période de 1933 à 1945 car son propriétaire n’est pas connu avant janvier 1942. L’oeuvre de Rouen ne doit pas être confondue avec un autre tableau de Renoir, qui appartenait à la famille Aaron, et dont il est avéré qu’il a été pillé en décembre 1942.

 

Cartel de présentation

Disparue en 1953, Anne Clémentine Rougé a légué ce tableau au musée, en associant à son geste le souvenir de son époux Charles Vaumousse, décédé en 1950. Celui-ci, fils d’un antiquaire rouennais et neveu d’un conservateur du Gros Horloge, a dirigé à Paris une importante galerie d’art. Pendant l’Occupation, il est activement impliqué dans le commerce de biens spoliés. Son nom est notamment lié à des transactions portant sur des oeuvres récupérées en Allemagne après-guerre, dont la Nature morte au faisan de Monet, déposée à Rouen (MNR 637). Une mission de recherche sur la provenance des oeuvres potentiellement spoliées a été engagée par la Métropole Rouen Normandie en 2022. Elle n’a pas permis à ce jour de clarifier l’historique de ce tableau, sur lequel pèsent des soupçons de spoliation. De nouvelles recherches sont programmées en 2024. La mission a en outre établi que le tableau rouennais est distinct d’une autre oeuvre de Renoir pareillement intitulée Femme au miroir, dont la spoliation est avérée.

Des recherches complémentaires doivent être réalisées pour préciser certains aspects de l’histoire du tableau rouennais. En cas de confirmation d’une spoliation, des recherches généalogiques seront menées pour retrouver les ayants droit des légitimes propriétaires. La Métropole Rouen Normandie pourra alors, en lien avec le ministère de la Culture, appliquer pour la première fois les dispositions de la récente loi n° 2023-650 du 22 juillet 2023 permettant de radier l’oeuvre des inventaires du musée des Beaux-Arts de Rouen pour la restituer à la famille.

 

La Métropole annonce sept nouvelles mesures pour amplifier la recherche de provenance

  1.  Engager les démarches auprès du ministère de la Culture en vue de confirmer la spoliation, rechercher les ayants droit et leur restituer les oeuvres Madame Guillaumin cousant, d’Armand Guillaumin, et Femme au miroir, d’Auguste Renoir.
  2.  Diffuser de nouvelles notices pour les oeuvres identifiées par l’audit comme possiblement spoliées. Ces notices, qui retracent l’histoire connue des oeuvres, sont dès à présent affichées à côté des oeuvres dans les salles du musée, et publiées sur le site Internet du musée.
  3.  Publier, en lien avec la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, le fruit des recherches sur le site Internet Rose-Valland, base de données qui recense toutes les oeuvres ayant le statut « Musées Nationaux Récupération », sur le site Internet des musées et dans une publication papier des musées de la Métropole Rouen Normandie. L’objectif est de diffuser la connaissance et de permettre à d’éventuels chercheurs ou ayants droit disposant d’informations complémentaires de se manifester auprès du musée.
  4.  Poursuivre l’étude des collections qui n’ont pas encore été examinées. Ce deuxième audit se déroulera pendant environ six mois et mobilisera trois chercheuses spécialisées.
  5.  Soutenir des travaux d’étudiants de Master sur la provenance des collections du musée des beaux-arts, en instaurant un système de bourses permettant de financer la poursuite des recherches.
  6.  Organiser la journée d’étude « l’Argument de Rouen » sur le thème des recherches de provenances, au second semestre 2024. De portée nationale, cet événement destiné aux professionnels de musées et au grand public sera l’occasion de faire un point d’avancement sur les travaux et la méthodologie de recherches de provenance dans les musées français.
  7.  Proposer au public des visites « Seconde Guerre mondiale » permettant de faire découvrir l’histoire des oeuvres entre 1933 et 1945, et le sensibiliser aux enjeux de la provenance et des spoliations dans le contexte nazi.

 

Note de synthèse des recherches menées au musée des Beaux-Arts de Rouen