La Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie, et plus particulièrement le musée des Beaux- Arts de Rouen, est engagé depuis plusieurs années dans l’exploration de la Normandie comme territoire de modernité, au-delà de la terre d’élection qu’elle a représenté pour les impressionnistes à la fin du 19e siècle.
Ainsi, en 2017, le musée a consacré une exposition à Picasso et à son atelier normand de Boisgeloup, près de Gisors, en collaboration avec le Musée national Picasso- Paris. En 2018, grâce au soutien du musée national d’art moderne, Marcel Duchamp était à l’honneur pour le cinquantième anniversaire du décès de l’artiste, qui vécut une partie de sa jeunesse à Rouen et y est enterré. À travers un parcours très pédagogique, l’exposition intitulée ABCDUCHAMP proposait au grand public de découvrir les œuvres et les principes qui ont marqué la carrière de l’artiste. En 2019, une grande exposition Braque, Miró, Calder, Nelson : Varengeville, un atelier sur les falaises proposait de s’intéresser à l’atelier de Georges Braque à Varengeville-sur-mer, où il travailla une partie de l’année pendant plus de 30 ans, et où il reçut parmi les plus grands créateurs du 20e siècle, au premier rang desquels Miró, qui s’y réfugia pendant la guerre et y séjourna près d’un an.
NADJA, CHEF-D’ŒUVRE DU SURRÉALISME
Fort de ces expériences et désireux de continuer à développer cette connaissance de la Normandie comme terre artistique au 20e siècle, le musée des Beaux-Arts de Rouen propose de consacrer, en 2022, une exposition à Nadja, ouvrage du théoricien du surréalisme André Breton, écrit au Manoir d’Ango, à Varengeville-sur-mer, en 1927 et publié en 1928. Nadja est tout à la fois l’un des livres phares d’André Breton, du surréalisme et de la littérature du 20e siècle. Débutant par la phrase « Qui suis-je ? » le livre se termine par la fameuse sentence qui a hanté ses nombreux lecteurs : « La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas ». Parsemé d’images, l’ouvrage s’inscrit tout autant dans l’histoire littéraire que l’histoire de l’art.
Dans ce récit autobiographique, Breton relate les quelques jours durant lesquels il a fréquenté une jeune femme, Léona Delcourt, que la postérité littéraire retiendra sous le nom de Nadja. Rencontre passionnée où le poète se joue de tous les signes possibles, le texte met en scène les hasards, les pérégrinations, les rencontres fortuites comme des éléments constitutifs d’une aventure amoureuse et de son écriture.
QUI EST LÉONA DELCOURT ?
Léona Delcourt est née le 23 mai 1902 à Saint-André-lez-Lille, commune de la banlieue lilloise, et morte le 15 janvier 1941, à 38 ans, à l'asile psychiatrique de Bailleul. En 1920, Léona donne naissance à une fille dont le père est inconnu. Comme elle refuse de se marier pour sauver les apparences, ses parents lui proposent de partir pour Paris, sous la surveillance d'un vieil industriel qui ferait office de protecteur. Elle quitte ainsi Lille pour Paris en 1923, et vit dans un petit appartement près de l'église Notre-Dame-de-Lorette. On connaît mal ses moyens d’existence à cette époque, elle vit probablement de petits métiers. Léona Delcourt rencontre André Breton le 4 octobre 1926. Du 4 au 13 octobre 1926, Léona Delcourt et Breton se verront chaque jour et ont probablement convenu d'écrire chacun de leur côté un récit des événements qu'ils viennent de vivre. De ces rencontres quotidiennes, Breton tire le récit Nadja, tandis que Léona rédige un carnet qu’elle confie à Breton.
UNE DÉAMBULATION À TRAVERS L’UNIVERS SURRÉALISTE DE NADJA
Nadja, l’ouvrage tel qu’il a été pensé par André Breton, est parsemé d’une quarantaine d’images dont l’auteur affirme qu’elles répondent à un objectif «anti-littéraire», celui « d’éliminer toute description ». Ce sont des reproductions d’œuvres (Ernst, de Chirico, Braque, Ucello...), de photographies (Man Ray, Jacques André Boiffard...), d’objets étranges (une paire de gants en bronze offert par Lise Deharme, des objets mathématiques photographiés par Man Ray...), des arts premiers (une statuette Moai reproduite dans le livre conservée au Musée du Quai Branly, ou des cimiers Fang dont il est question dans le texte), ou encore des portraits (Desnos, Aragon, Péret, Breton), des images comme autant de points d’arrêts dans le texte et de fenêtres ouvertes sur le surréalisme.
L’exposition prend ainsi comme fil conducteur l’ensemble de ces images et propose au visiteur une déambulation à travers l’univers de Nadja et, plus largement, du surréalisme. En s’inspirant de l’éclectisme et de la transdisciplinarité du mur de l’atelier d’André Breton, conservé au Musée national d’art moderne, le parcours permet de pénétrer dans le monde « défendu qui est celui rapprochements soudains, des pétrifiantes coïncidences » que Breton appelle de ses vœux dans les premières pages de Nadja. Seront ainsi présentés un ensemble varié de tableaux, de sculptures, de dessins, de documents, d’objets, de photographies, chaque planche illustrée du livre donnant lieu à un développement et permettant de mettre en lumière les grands protagonistes du surréalisme – Paul Éluard, Benjamin Péret, Robert Desnos, Louis Aragon, Man Ray, Yves Tanguy, Max Ernst - , les grandes thématiques du mouvement — le rêve, l’inconscient, l’objet trouvé, le hasard objectif, la rencontre, Paris, l’apparente étrangeté des arts anciens ou des arts non-occidentaux – et son histoire, du premier manifeste du surréalisme jusqu’à 1940.
Nadja sera sans doute une exposition singulière, qui ouvrira ainsi les expositions commémoratives autour du Surréalisme, qui aura 100 ans en 2024.