Il existe un univers entièrement gris, peuplé de dessins tous différents qui tendent désespérément vers la même ombre fatale, un monde à la fois confortable et terrible où vit silencieusement, depuis plusieurs décennies, Bernard Ollier.
C'est une œuvre à deux versants, plastique et littéraire, que l'artiste secrète plus qu'il ne la construit, avec la patience du ver à soie et l'ironie d'un capitaine qui contemplerait avec un léger sourire le lent naufrage de l'existence. À des textes courts, cocasses et funèbres puisqu'ils content une longue série de morts de peintres, répondent de grands dessins dont la trame complexe fait jouer tous les effets possibles du graphite. Les dessins semblent parfaitement monochromes si on les regarde à distance, comme la vie qui n'est qu'une suite d'événements insignifiants et aléatoires, ponctuée par un dernier incident tout aussi dérisoire que les précédents.
C'est peut-être cette absence de direction qui est perceptible dans les dessins, avec ces traits courts, nerveux et souples à la fois, cet enchevêtrement infernal qui marque l'impossibilité de tracer une ligne, un projet, un choix. L'œuvre témoigne d'une vie qui s'est confondue avec un processus sans fin, d'un vertige où s'est complu l'artiste pendant des journées entières, et combien de journées : celui de l'ennui et de l'indifférence. Laisser le travail « se faire tout seul », pour atteindre cette jubilation précieuse qu'est la contemplation du néant. Mais c'est paradoxalement un hymne à la vie efficace et réconfortant, une démonstration d'énergie et d'humour qui ressort de cet étrange frémissement dans l'étendue grise.