SO BRITISH !
10 chefs-d'oeuvre de la collection Pinault
De juin 2019 à mai 2020, le musée des Beaux-Arts de Rouen accueille la Collection Pinault. Quelques mois avant l’ouverture de la Bourse de Commerce, futur lieu d’exposition de l’institution au cœur de Paris, ce partenariat permet de découvrir à Rouen un pan inédit de son patrimoine.
Depuis sa création il y a près de 30 ans, la Collection Pinault n’a cessé de se développer pour devenir un acteur majeur de la scène artistique contemporaine. Riche d’œuvres des plus grands artistes de notre temps, régulièrement présentées au Palazzo Grassi et la Pointe de la Douane à Venise, comme dans de nombreuses expositions de référence, la Collection Pinault compte parmi les plus importantes et dynamiques collections d’art contemporain au monde.
Pour cette première collaboration, le musée des Beaux-Arts de Rouen a choisi de s’intéresser aux artistes britanniques présents dans la collection, offrant ainsi un prolongement contemporain aux liens historiques qui existent entre la Normandie et l’Angleterre depuis le Moyen-Âge.
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Gilbert
& George
Personnalités indissociables l’une de l’autre depuis leur rencontre en 1967 à la Saint Martin’s School of Art à Londres, Gilbert Prousch et George Passmore se considèrent comme une seule et même personne. Les artistes, à l’apparence et à l’attitude recherchées, s’accomplissent dans une même unité d’action et prennent les gestes, situations, attitudes de la vie quotidienne comme autant de prétextes pour réaliser une « sculpture vivante ». À travers le dessin, la performance, la vidéo et surtout la photographie, ils se mettent en scène dans chacune de leurs œuvres avec la volonté a chée de provoquer une ré exion sur notre société.
Cry
Au début des années 1970, Gilbert & George élaborent une technique consistant à juxtaposer des photographies à l’intérieur d’une grille, qui devient rapidement un élément fondamental de leur langage plastique, comme dans Cry. Le cerne noir qui délimite les formes, la grille orthogonale, les couleurs franches en nombre limité (bleu, vert, rouge) évoquent le vitrail, un art qui permet depuis l’époque médiévale de traduire les textes sacrés dans une composition simple et e cace. On retrouve George, debout au premier plan, gure du dandy en costume de ville, et le visage de Gilbert, à l’arrière- plan, dont la bouche ouverte, au centre géométrique de la composition, fait directement écho au titre Cry (cri).
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Keith Tyson
Né en 1969, Keith Tyson quitte l’école très tôt et travaille sur un chantier naval où il développe des compétences en ingénierie, avant de reprendre des études d’art à l’âge de 20 ans.
Très jeune, il s’intéresse aux sciences et aux mathématiques qui inspirent désormais ses peintures, sculptures, installations et dessins. Dans les années 1990, il crée l’Art machine, un outil programmé pour générer de façon aléatoire des idées, qui alimentent sa création. Keith Tyson a été lauréat du prestigieux Turner Prize en 2002.
The Bigger Picture Emerges (Geno-Pheno Painting)
L’œuvre The Bigger Picture Emerges fait partie de la série Geno-Pheno Painting dans laquelle l’artiste oppose le génotype (le code génétique d’un organisme) au phénotype (le caractère visible d’un organisme) pour créer des œuvres en deux panneaux. La partie gauche décrit le code utilisé pour générer des images, tandis que la droite propose une combinaison possible tirée de ce modèle. À la même requête « A pattern, a person or a place » (un motif, une personne ou un lieu) correspond ainsi des images très di érentes. On retrouve bien un motif (tag, diagramme, une peinture murale - Saddam Hussein - criblée de balles), une personne (Margaret Hassan, humanitaire enlevée et exécutée en Irak en 2004) ou un lieu (un podium présidentiel américain vide, une cellule). Le spectateur est conduit à chercher un lien entre ces propositions, qui restent pourtant le produit d’un hasard et d’un contexte historique, comme une grande loterie génétique produirait divers organismes à partir des mêmes éléments de base.
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Paul Fryer
Paul Fryer a suivi ses études à la Leeds Arts University aux côtés de Damien Hirst. Ensemble, ils font partie des Young British Artists (« Jeunes artistes britanniques »), un regroupement d’artistes contemporains fondé dans les années 1980. Issu d’une famille très pieuse, l’artiste rejette la religion dès l’adolescence. Sa culture chrétienne et ses ré exions sur la spiritualité sont néanmoins constitutives de son travail, à l’image de l’œuvre Pietà, qui met en scène le Christ mort sur une chaise électrique.
Pietà (The Empire Never Ended)
L’œuvre rappelle la sculpture baroque espagnole du 17e siècle et notamment les pasos, ces sculptures de bois polychrome grandeur nature au réalisme saisissant, déplacées lors des processions et dont l’aspect dramatique est accentué pour susciter l’horreur, la pitié et nalement la dévotion des dèles.
Par son naturalisme poussé à l’extrême, Pietà réactive la violence des représentations religieuses, cruci xions, martyres, dont la cruauté est étrangement atténuée lorsqu’elles sont présentées dans un musée et regardées comme œuvre d’art. En associant le Christ au châtiment de la chaise électrique, l’artiste utilise un raccourci brutal pour aborder la question, universelle et intemporelle, du recours au supplice et à la peine de mort dans les sociétés humaines.
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Jonathan Wateridge
Jonathan Wateridge est un artiste britannique, né en Zambie et formé à la Glasgow School of Art, en Écosse. Il vit et travaille actuellement à Londres.
On retrouve à travers les toiles monumentales de ses di érentes séries, peintes dans un style hyperréaliste, des mises en scène spectaculaires, ré échies et longuement étudiées. Avant de peindre ses tableaux, l’artiste passionné de cinéma met en place de véritables scénographies, faisant appel à des gurants et choisissant méticuleusement les objets et accessoires.
Re-Enactment Society, Group series n°5
À mi-chemin entre la réalité et la ction, ses tableaux remettent au goût du jour la grande peinture d’histoire, un genre académique que l’on pense inadapté à notre époque. Cependant, Re-Enactment Society, représente des passionnés qui se retrouvent pour rejouer en costume des moments clefs de l’histoire, ici la guerre de Sécession (identi able par la présence du drapeau confédéré). Ainsi, c’est bien du temps présent que parle l’artiste, comme le dénote la présence a priori insolite d’une voiture au loin et des personnages contemporains qui contemplent la scène avec curiosité.
Si Wateridge adopte les codes picturaux de la peinture militaire, traditionnellement associées au souvenir d’une armée victorieuse ou d’un chef héroïque, il en propose une relecture distanciée. Malgré les costumes et les armes, il ne s’agit ici que d’un simple jeu de rôle, qui souligne l’ironie de nos traditions commémoratives, loin de la réalité des événements historiques.
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Thomas Houseago
Thomas Houseago est né à Leeds (Royaume-Uni) en 1972. Il vit et travaille à Los Angeles depuis 2003. Peu et mal considéré dans le milieu artistique à ses débuts, Thomas Houseago connaît un chemin très tumultueux avant de devenir une gure majeure de la scène artistique internationale.
Si l’esthétique brutale et monumentale de ses sculptures a déconcerté à ses débuts, elle est devenue désormais une marque de fabrique. Inspiré par la radicalité des dernières œuvres de Picasso, Houseago utilise sciemment une forme de brutalité pour se libérer des contraintes de la forme et du goût. En ce sens, son travail s’apparente à l’expressionnisme.
Son œuvre de sculpteur concerne essentiellement la gure humaine. Ses personnages à la silhouette déformée, arrêtés dans une forme d’inachèvement ou de ruine, créent une impression de vulnérabilité. Pour autant, leurs formes gigantesques associées à des matériaux industriels comme des câbles, de l’acier, de la tôle ou encore du ciment, produisent une sensation de puissance.
Bottle II
Bottle II est une sculpture hybride, dans laquelle un crâne apparaît au milieu d’une bouteille, le tout à une échelle monumentale. Son processus de fabrication reste apparent à travers les traces d’outils de modelage ou d’assemblages laissés visibles sur la surface de l’œuvre.
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Toby Ziegler
Toby Ziegler s’intéresse tout particulièrement à la reproduction et la transmission des images, notamment par le biais du numérique qu’il utilise pour produire de nouvelles formes, tant en volume qu’en peinture. Il s’approprie des images glanées sur internet, tout aussi bien que celles de peintres anciens par exemple espagnols (Vélasquez...), italiens, ou amands.
Phylogenetic fantasy
C’est Bruegel (1525-1569) qui inspire Phylogenetic fantasy, construite à partir d’une œuvre dont les éléments ont été sélectionnés, recadrés, décolorés, agrandis, à l’aide d’un logiciel informatique. La transition du digital vers la toile se fait ensuite par la main de l’artiste. Les divers ltres appliqués, la grille superposée à l’image, oscillant entre abstraction et guration, rendent le motif di cilement interprétable et conduit le spectateur, comme le souhaite l’artiste, à prendre plus de temps pour la décrypter.
La « phylogénétique » évoquée par le titre est une science traitant des modi cations génétiques. À travers les mutations opérées par le peintre, c’est en e et le sort qui semble réservé aux espèces animales ou végétales présentes sur le tableau.
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Nigel Cooke
Nigel Cooke est un artiste britannique qui vit et travaille dans le Kent, en Angleterre. À la fois peintre et auteur d’une thèse de doctorat sur le thème de « la mort de la peinture », il se situe dans cette ambivalence, ne cessant d’interroger l’utilité de la tradition picturale pour traduire les préoccupations de notre temps.
1989
Dans le tableau intitulé 1989, Cooke manifeste ce doute de façon explicite (la palette tenue par le personnage porte signi cativement la mention « crap », assimilant ainsi la peinture à un rebut) mais aussi de manière plus détournée. Il convoque les catégories ordinaires de l’art, abstraction, guration, comme pour mieux les réfuter : des formes géométriques évoquant l’art concret ottent sur un fond bleu-gris, réalisé au moyen d’une peinture uide tout en transparence, brossée dans des mouvements amples et souples. Au premier plan apparaît une silhouette humaine dont les yeux et le nez sont réduits à des cercles de couleur primaire. Elle semble se détacher sur un ciel métallique menaçant, revisitant ainsi de façon presque burlesque une conception du paysage héritée de l’époque romantique, où l’artiste se confronte au vaste univers.
Cependant, en travaillant la couleur par couches successives, l’artiste a construit sa toile comme un « mur », créant un espace qui rappelle l’univers du gra ti. En employant les moyens de cet art réputé libre et spontané, qui assimile toutes les techniques dans un nouveau langage, Nigel Cooke o re ainsi une version urbaine du promeneur philosophe, s’interrogeant sur les moyens de l’art pour décrire le monde.
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Damien Hirst
Artiste éclectique, Damien Hirst a été dans les années 80 l’un des principaux initiateurs des Young British Artists (« Jeunes artistes britanniques »), un mouvement réunissant des personnalités très diverses dont les travaux souvent provocateurs et transgressifs font usage de matériaux inhabituels. À travers des installations, peintures, sculptures et dessins, Damien Hirst s’est principalement consacré au genre de la vanité, qui insiste sur la nitude des choses et de la vie humaine.
Dark Soul
Dark Soul (« Âme obscure »), s’inscrit dans une riche tradition picturale et spirituelle pour qui le cycle de vie du papillon évoque la libération de l’âme humaine après l’existence terrestre. À la di érence des représentations plus traditionnelles, Hirst utilise un véritable spécimen. Ce mélange entre histoire naturelle et art est fréquent dans ses œuvres. Si les spécimens utilisés proviennent d’élevages contrôlés, l’usage de papillons vivants dans une installation lui a valu une condamnation en 2012 à la suite d’une plainte d’une organisation défendant le bien-être animal.
Damien Hirst explique sa fascination pour cet insecte en raison de son caractère inaltérable. De fait le papillon conserve ses couleurs chatoyantes, à la vie, à la mort. La métaphore sur le salut de l’âme se voit ainsi redoublée d’une méditation sur la fragilité et l’éternité.
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Lynette Yiadom-Boakye
Née à Londres de parents originaires du Ghana, Lynette Yiadom-Boakye puise ses références dans la peinture de grands artistes du 19e siècle comme Edgard Degas ou Édouard Manet, dont elle évoque souvent les saisissants talents de portraitistes. Elle réalise chacune de ses œuvres en une journée, mettant ainsi l’accent sur la rapidité et la spontanéité de l’exécution.
Son choix de représenter presque exclusivement des hommes et des femmes à la peau noire participe d’une ré exion sur le statut des personnes de couleurs dans les représentations picturales. En reprenant le dispositif utilisé dans l’art classique, qui a recours à un fond sombre pour mieux faire ressortir les carnations claires des personnages, elle en souligne l’inadaptation pour les modèles noirs. Le langage historique de la peinture semble comme inadapté à la diversité.
Ses portraits paraissent révéler la personnalité de ses modèles ; pour autant, il s’agit de personnages ctifs. La composition de l’image, sobre et sans anecdote donne peu d’information sur le contexte et l’action représentée. De la sorte, l’imagination du spectateur est tout autant sollicitée que celle de l’artiste, chacun étant amené à créer son propre récit.
Uncle of the Garden
Le triptyque Uncle of the Garden trouve une place de choix dans la galerie de portraits du 19e siècle, avec lesquels il ouvre un dialogue. Le travail de Lynette Yiadom-Boakye peut également être rapproché de celui de Théodore Géricault (1791-1824, également visible dans les salles du musée) qui, dans une composition spectaculaire, plaça la gure du naufragé Joseph, charpentier noir, au sommet de son tableau Le Radeau de la Méduse (1818-1819, musée du Louvre).